ANB-BIA SUPPLEMENT - ISSUE/EDITION Nr 337 - 01/01/1998

ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 337 - 01/01/1998

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Congo (RDC)

Justice: rien n'a changé

by Kya Musoke, Congo-RDC, novembre 1997

THEME = JUSTICE

INTRODUCTION

L'indépendance de la justice était et demeure au niveau du "slogan".
Méfiance et crainte font le reste...

En République démocratique du Congo, le peuple ne cesse de se plaindre avec amertume et indignation: "Il n'y a plus de justice dans ce pays". Tout le monde se sent frustré et se demande à qui se confier pour obtenir justice. La presse locale n'arrête pas de dénoncer les arrestations arbitraires, les détentions illégales et les exécutions sommaires.

De leur côté, "Avocats sans frontières" et "Les toges noires" (deux associations de défense des droits de l'homme, regroupant des avocats) continuent de condamner les injustices de toutes sortes et les confiscations des biens des "mouvanciers". Le père Pierre de Quirini s.j., par ses nombreux écrits sur les questions de droit, interpelle les chrétiens et tous les hommes de bonne volonté pour lutter sans relâche pour une meilleure justice. Il est convaincu qu'en travaillant pour une bonne distribution de la justice, on travaille pour le règne de la paix entre les citoyens.

Durant la dictature de Mobutu, les injustices étaient criantes, révoltantes et insultantes. Mobutu était au-dessus de la loi (on disait même qu'il était "hors-la-loi"), il avait droit de vie et de mort sur tout citoyen. Les membres de sa famille et ses proches collaborateurs pouvaient ravir les biens et les femmes des autres sans être inquiétés. En cas de conflit avec un citoyen, leur expression courante était: "Okofanda ngai wapi? (où irez-vous m'accuser?)"

Et pourtant, les lois pour une juste gestion de la justice existent. Mais elles ne sont pas respectées. Aujourd'hui, rien n'a changé, comme le dénonce le "Groupe Amos" dans un de ses derniers messages.

Avant d'expliquer comment fonctionne la justice au Congo-Kinshasa, nous donnons quelques précisions sur les types d'affaires traitées par la justice, ainsi que sur les agents et les structures judiciaires qui existent.

Les agents de la justice

Deux types principaux d'affaires se distinguent: les affaires civiles et les affaires pénales.

Les conflits civils résultent de l'initiative d'un citoyen qui s'estime lésé et qui recourt à la justice pour régler le différend. Ces conflits sont tranchés par un tribunal "civil", conformément au droit civil, écrit ou coutumier.

Dans les affaires pénales, ce sont les représentants de la justice qui prennent l'initiative d'engager des poursuites. Ils conduisent le coupable devant les tribunaux, afin de rétablir l'ordre public. Le code pénal définit les infractions et en détermine les sanctions.

Avant que le jugement soit rendu, une affaire confiée à la justice passe par plusieurs mains. Il y a d'abord les magistrats, qui ont pour mission essentielle de dire le droit de façon directe. Mais pour accomplir leur mission, ils ont besoin de la collaboration des auxiliaires de justice. Ce sont les officiers de police judiciaire (OPJ), les avocats et les experts. D'autres personnes aident indirectement à réaliser la mission des magistrats: les greffiers, les huissiers et tout le personnel administratif des services judiciaires.

Pour être magistrat, il faut remplir certaines conditions, dont voici les principales: être de nationalité congolaise, être détenteur d'une licence ou d'un doctorat en droit, être nommé par ordonnance présidentielle. On distingue les magistrats assis et les magistrats debout. Les premiers, ainsi appelés parce qu'ils restent assis au cours des audiences, ont pour fonction de juger les affaires civiles et pénales. Les seconds, qui sont debout quand ils prennent la parole aux audiences, sont des magistrats du parquet, aussi appelés "officiers du ministère public" (OMP). Ils sont chargés des enquêtes et de préparer les dossiers présentés aux juges. L'indépendance de la magistrature est garantie par la Constitution du pays.

Les officiers de police judiciaire ont pour mission de rechercher les infractions et d'en conduire les auteurs devant les magistrats du parquet. On les considère comme les yeux et les oreilles du parquet.

Les avocats et les défenseurs judiciaires collaborent avec les magistrats. Leur mission essentielle est de défendre les intérêts de leurs clients, envers lesquels ils doivent respecter la loyauté. Les avocats font partie d'un barreau dirigé par le bâtonnier. Pour faire partie de ce corps, il faut avoir une licence en droit et se faire inscrire au tableau après un long stage et une prestation de serment. Pour qu'un avocat puisse plaider à la Cour suprême, il doit avoir dix ans de pratique. La profession d'avocat est une profession libérale, dont l'existence est reconnue par la Constitution (art.16 al.5). On compte près de 250 avocats, dont la majorité résident à Kinshasa.

Le défenseur judiciaire remplit la même fonction que l'avocat; mais sur le plan des études, il lui suffit d'avoir obtenu un graduat en droit. Il ne peut défendre les intérêts des clients que devant le tribunal de paix et le tribunal de grande instance. Les défenseurs judiciaires sont regroupés en "syndic", les avocats appartiennent à l'"ordre des avocats".

Le greffier est un fonctionnaire qui fait partie du siège. Il prend note des déclarations des parties, du ministère public et du juge; il dresse les actes d'appel ou d'opposition. L'huissier signifie les assignations, les citations et les jugements.

Compétences des tribunaux

Après avoir terminé ses recherches au sujet d'une infraction, l'OPJ communique au parquet le dossier constitué pour ouvrir l'instruction de l'affaire. Les magistrats du parquet sont instructeurs ou officiers du ministère public (OMP). Le magistrat instructeur vérifie tous les éléments rassemblés, qualifie l'infraction et propose au tribunal la peine correspondant aux circonstances de l'infraction. La loi définit chaque infraction de manière précise.

La Cour suprême, la cour d'appel et les tribunaux de grande instance ont chacun leur parquet. Celui du tribunal de grande instance est occupé par un procureur de la République, secondé de ses substituts, et celui de la cour d'appel par un procureur général et un avocat général. Le procureur général est compétent pour l'ensemble du territoire de la République.

Différentes catégories de tribunaux sont prévues selon l'importance des affaires à traiter et des personnes à juger. Le tribunal de paix existe dans chaque territoire ou commune (environ 139 territoires pour l'ensemble du pays). Le juge de paix cumule les fonctions de ministère public et de magistrat du siège, et il siège seul. Il est compétent pour juger toutes les infractions dont les peines ne dépassent pas 5 ans de servitude pénale principale (SPP), ainsi que pour les affaires concernant l'enfance délinquante.

Un tribunal de grande instance siège dans chaque sous-région (district) et dans chaque ville (29 sous- régions). Il est compétent pour les infractions passibles de plus de 5 ans de SPP et celles qui requièrent la peine de mort.

Une cour d'appel est établie dans chaque chef-lieu des 11 provinces. Elle reçoit les appels des jugements de grande instance.

Enfin, la Cour suprême est établie dans la capitale Kinshasa. Elle est surtout une instance de recours et de cassation, mais elle peut aussi juger les infractions commises par les autorités politiques. Son pouvoir s'étend à tout le territoire. Elle est composée d'un premier président, de plusieurs autres présidents et de conseillers.

Il existe un auditorat militaire qui est chargé de juger les militaires; il n'est pas compétent pour juger d'un conflit entre les autres citoyens.

La Cour de sûreté de l'Etat passe pour être un instrument de répression au service du pouvoir dictatorial.

Conditions d'arrestation et de détention

Avant qu'un individu soit condamné, son infraction doit être constatée et étudiée par les personnes désignées par la loi. Il sera ensuite jugé au cours d'un procès. Mais après sa condamnation, il garde certains droits, comme celui d'un recours éventuel et celui d'être traité de façon digne et humaine.

C'est le parquet qui est chargé de poursuivre les délinquants, car il veille à l'ordre public pour la paix de la population. Le parquet est aidé par les OPJ qui reçoivent par délégation le pouvoir de rechercher les infractions, de constater les actes criminels, de faire des enquêtes et d'accomplir les diverses tâches qui leur sont confiées dans le cadre des lois. L'ordonnance présidentielle n. 78/289 du 3 juillet 1978 impose aux OPJ des règles précises pour l'accomplissement de leur mission.

L'OPJ peut être informé d'une infraction de trois façons: par plainte introduite par la victime, par dénonciation ou par constat. Il peut être amené à procéder à l'arrestation du suspect, mais à cause des nombreux abus commis dans ce domaine, l'ordonnance précitée impose des conditions très sévères, tant pour la décision de l'arrestation que pour son exécution. Ainsi, la mise au cachot, ou en garde à vue, d'un individu suspect ne peut dépasser 48 heures. Après ce délai, le suspect doit être remis en liberté ou conduit devant le parquet. La personne arrêtée doit être traitée humainement; elle a droit aux soins médicaux, à la nourriture, etc.

En cas de flagrant délit, la loi donne à l'OPJ des pouvoirs plus larges. Il peut procéder à des visites domiciliaires le jour ou la nuit, il peut lancer un mandat d'amener contre l'auteur présumé de l'infraction. Mais en aucune façon, l'OPJ ne peut forcer quelqu'un à payer une amende, sauf pour certaines infractions de peu d'importance, afin de ne pas encombrer inutilement les tribunaux.

Les droits des prisonniers

L'ordonnance portant régime pénitentiaire prévoit que les prisons doivent respecter les conditions d'hygiène et de salubrité et prendre toutes mesures relatives à la propreté et à l'entretien des locaux, des toilettes et des vêtements des détenus. L'usage de boissons alcoolisées est interdit dans les prisons, mais la réalité est bien différente. Les ministres du culte sont autorisés à exercer leur ministère auprès des détenus. Les lettres et tous les écrits reçus ou expédiés par les détenus sont soumis au contrôle du responsable de l'établissement, qui peut éventuellement les saisir.

Durant l'instruction, le prévenu est présumé innocent: il doit pouvoir se défendre et il faut lui en fournir les moyens. La détention préventive n'est valable que pour 5 jours, au terme desquels le parquet doit faire comparaître le prévenu devant le juge.

L'indépendance de la justice

Le juge prend sa décision dans une parfaite indépendance. Il juge uniquement selon sa conscience, après avoir entendu les arguments du ministère public et ceux de la défense. Le juge ne peut subir aucune pression extérieure. L'indépendance de la magistrature du siège est garantie par l'article 99 de la Constitution. Tout jugement doit être motivé, ce qui signifie que le juge est obligé d'énumérer les motifs qui l'ont amené à prendre sa décision. Cette obligation force le juge à l'impartialité et à la réflexion. Un jugement non motivé est sans fondement et la partie perdante peut aller en appel.

Cependant, l'indépendance du juge demeure au niveau du "slogan". L'ingérence du ministre de la Justice dans le fonctionnement judiciaire constitue le premier grand obstacle à cette indépendance. Dans le passé, le Parlement avait le pouvoir de contrôler les activités judiciaires, et on a pu constater la nomination au sommet de la magistrature de personnes étrangères au corps de justice, ainsi que des nominations surprises de magistrats à des fonctions extra-judiciaires.

Ainsi par exemple, l'origine des déboires de Mr. Marcel Lihau, le tout premier président de la Cour suprême, a été d'avoir osé réclamer l'indépendance de la magistrature, en refusant de siéger pour une parodie de justice dans un procès politique. De même, le général Masiala a été abattu pour avoir refusé de prononcer la condamnation de personnes innocentes au cours d'un procès politique au Conseil de guerre.

Un autre grand obstacle à l'indépendance de la magistrature est la corruption des agents de la justice: un homme riche, même s'il est coupable, aura la justice de son côté.

Conclusion

Au Congo-Kinshasa, l'Etat a organisé un service de la justice. Mais jusqu'à présent, ce service ne fonctionne pas comme il le devrait: on ne rencontre que méfiance et crainte. La justice en est souvent paralysée. Victime des abus des fonctionnaires de la justice, la population ignore qu'il existe une Constitution garantissant les droits fondamentaux des citoyens. Elle ignore qu'il existe des tribunaux chargés de dire le droit, c'est- à-dire de rétablir dans leurs droits des personnes lésées.

A la Conférence nationale souveraine, des décisions importantes ont été prises pour permettre au pouvoir judiciaire de recouvrer son indépendance, nécessaire à la sauvegarde des droits et libertés des personnes. Dès qu'elle aura été affranchie des interférences multiformes et réfractaires au droit, la justice sera le rempart de la légalité et pourra réaliser l'équilibre de sa balance.

L'égalité des hommes devant la loi est le plus grand défi à relever et pourrait désormais écraser la caste des intouchables impénitents, qui sont aussi nombreux aujourd'hui que durant la dictature. Seule la justice peut fonder la paix sociale véritable. Et à son tour la paix créera un climat favorable à la reconstruction nationale, à la reprise du travail et au développement.

END

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