ANB-BIA SUPPLEMENT - ISSUE/EDITION Nr 337 - 01/01/1998

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ISSUE/EDITION Nr 337 - 01/01/1998

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Ghana

Une justice sans mordant

by Samuel Sarpong, Ghana, 15 septembre 1997

THEME = JUSTICE

INTRODUCTION

Les Ghanéens en général ne savent pas grand-chose sur la justice de leur pays.
Ils considèrent le pouvoir judiciaire comme une extension de l'exécutif et ont toujours estimé que
le terme d'indépendance judiciaire était vraiment mal approprié. Certaines décisions controversées, prises par les tribunaux dans des affaires où le gouvernement soutenait ses propres intérêts,
ont encore renforcé cette impression.

Quand une "affaire politique" dans laquelle l'Etat est impliqué passe devant la Cour suprême, le résultat est souvent facile à prévoir - le plus souvent, le gouvernement l'emporte. "Même si l'affaire se présente mal pour le gouvernement, vous pouvez être sûr qu'il en sortira sain et sauf", dit John Quartey, militant politique. "L'Etat ne perdra pas une affaire importante, car la plupart des juges du Ghana sont favorables au gouvernement". Bien qu'on ne puisse en avoir une certitude absolue, il est évident que certaines décisions prises par la justice ont donné naissance à cette opinion populaire, surtout en ce qui concerne les juges récemment nommés.

Et qu'arrive-t-il aux juges qui ne sont pas prêts à se plier à la ligne du gouvernement? Un exemple illustrera ce point. En 1995, une Cour suprême considérée comme "hostile" a été écartée de manière peu conventionnelle, sous prétexte que les juges avaient "dépassé l'âge" pour cette fonction. Au même moment, d'autres juges bien plus agés restaient en fonction!

De la confiance du public

Bon nombre de Ghanéens sont aussi convaincus que le président de la cour d'appel - désigné par le gouvernement et chargé de confier les affaires aux juges - choisit des juges favorables au gouvernement, si celui-ci est impliqué dans les dossiers à traiter. Mr Quartey insiste: "Tout cela se fait d'une manière ingénieuse, mais nous savons tous ce qui se passe".

Mr K.B.Asante, diplomate de carrière et ex-ambassadeur du Ghana à Londres, est connu pour la manière objective dont il traite les problèmes. Soulignant récemment l'importance de la confiance du public dans la justice du pays, il affirmait que les étrangers et les investisseurs ne veulent pas investir dans un pays dont les tribunaux émettent ce qu'on ne peut qu'appeler "des jugements bizarres". Et d'ajouter: "Il n'est pas bon que les gens voient la main de l'autorité dans tout prononcé judiciaire. Quand vous pouvez clairement prédire l'issue d'une affaire, la confiance dans la justice est sapée".

Une justice indépendante

Pour Asante, une justice indépendante doit être à l'abri de crainte et de toute pression d'où qu'elle vienne. Qu'est-ce que cela signifie?

Récemment encore, il y a eu des attaques venimeuses dans les médias et des récriminations du public contre le fonctionnement de la justice. Il y a eu aussi pas mal de disputes et de suspicion entre le barreau et la magistrature à cause de décisions prises par les juges.

Parlant des relations entre la justice et l'exécutif, l'actuel président de la cour d'appel, Issac Kobina Abban, est d'avis que l'indépendance judiciaire ne devrait pas supposer une constante confrontation entre la justice et l'exécutif: "Il est mauvais pour tout le monde de penser que le barreau doit bander ses muscles chaque fois qu'une affaire impliquant l'exécutif passe au tribunal. Par ailleurs, la justice doit être fidèle à son rôle, malgré les menaces injustifiées, les attaques vicieuses et une campagne délibérée et incessante de dénigrement malveillant et calculé contre les juges, que lancent certains membres de la société mécontents et irresponsables".

Peu de respect pour la Constitution

En 1994, Philip Archer, alors président de la cour d'appel, était convaincu que la garantie constitutionnelle de l'indépendance judiciaire resterait un mirage si les membres du monde judiciaire ne montraient ni égard ni respect pour cette indépendance. "Si nous-mêmes, par nos actes et notre conduite, au tribunal ou en dehors, nous ne faisons pas preuve d'égards et de respect pour cette indépendance, nous ne pouvons blâmer le public ou d'autres organes de l'Etat s'ils nous attaquent".

En fait, les juges ghanéens n'ont pas fait preuve d'un grand sens d'indépendance ni de correction et, dans une large mesure, ils n'ont pas contribué à soutenir la démocratie et la suprématie de la Constitution. C'est vrai, depuis l'indépendance du Ghana, les tribunaux ont parfois été les accessoires de l'administration, utilisés pour supprimer des gens au lieu de les protéger contre les abus.

Pourquoi cela continue-t-il? Un ancien juge de la Cour suprême, Etrew Amua-Sekyi, explique que certains juges ont tendance à perdre leur indépendance par solidarité tribale ou politique, plus que par manque de compétence ou de connaissance de la loi. Ils sont nommés pour protéger les intérêts du gouvernement du moment, avançant ainsi dans leur carrière. Peu importe leurs tendances politiques; les juges doivent apprendre à voir les affaires sans passion, et appliquer la loi sans penser aux conséquences.

Le "système des tribunaux"

Actuellement, le Ghana a un système juridique à deux étages, l'un basé sur la procédure occidentale, et l'autre sur le "système des tribunaux".

Le "système des tribunaux" a été introduit pendant les journées tumultueuses des années '80. Le président en fonction, Jerry Rawlings, imbu de zèle révolutionnaire, l'avait créé pour aider àexpédier les procès de prétendus fomenteurs de coups d'Etat et de saboteurs de l'économie. C'était le temps où il y avait eu beaucoup de tentatives pour arracher le pouvoir à Rawlings. Ce dernier s'était bien rendu compte que le système des tribunaux était la manière la plus sûre et la plus expéditive de faire justice.

Ce système utilise de simples citoyens comme membres de la cour qui dispense la justice. Ces membres de la cour sont censés être des personnes de haute valeur morale. La plupart d'entre eux sont des enseignants retraités ou des personnalités jouissant du respect de la communauté où ils vivent. Ils assistent les présidents des tribunaux (des avocats devenus juges) pour en arriver à une décision collective.

Avant que la Constitution actuelle du Ghana entre en vigueur, les tribunaux étaient soit "régionaux", soit "nationaux" (avec juridiction dans les cas de subversion et les graves délits économiques). Quand la Constitution de 1991 a été établie, on a estimé que le "système des tribunaux", dans sa forme actuelle, avait atteint le but et qu'il devait donc être intégré au système judiciaire ghanéen.

Aujourd'hui, à l'intérieur du système des tribunaux, il y a trois niveaux de juridiction: 1. les tribunaux des communautés, qui traitent de délits locaux mineurs; 2. les tribunaux de circonscription, qui traitent de questions plus sérieuses des communautés; 3. les tribunaux régionaux, qui ont juridiction pour les délits économiques, les affaires liées à la drogue et d'autres crimes graves. Les tribunaux régionaux sont l'équivalent d'une High Court et ils font fonction de juridiction d'appel pour les autres tribunaux.

Du "système des tribunaux", on peut faire appel à la cour d'appel et à la Cour suprême.

La stabilité d'emploi des juges a été clairement définie dans l'actuelle Constitution, et on ne peut les écarter facilement, à moins qu'ils aient commis des fautes graves. Ceci doit assurer leur indépendance. Le juge Amos-Sekyi est d'avis que "les juges n'ont aucune raison d'être inquiets quand ils traitent d'affaires où le gouvernement est censé avoir un intérêt".

Les juges ont peur

Pourquoi les juges devraient-ils avoir peur? La question est importante à cause de ce qui s'est passé autrefois. Le 30 juin 1982, trois juges de la High Court ont été enlevés et assassinés par un groupe armé non identifié. Rawlings a condamné les meurtres et affirmé qu'un tel terrorisme ne pouvait pas rester impuni. Mais, selon l'opinion générale, les juges avaient été tués parce qu'ils avaient critiqué le régime et qu'ils avaient prononcé des acquittements dans un certain nombre d'affaires introduites à la Cour par les autorités.

Bien sûr, cela s'est passé à l'époque de violences, quand Jerry Rawlings s'était relancé sur la scène politique selon un mode révolutionnaire.

Maintenant le Ghana est sous régime constitutionnel et c'est un peu absurde de constater que, malgré la sécurité qui leur est assurée, une crainte instinctive semble encore régner chez les juges quand ils doivent traiter d'affaires dans lesquelles le gouvernement est intéressé.

Conditions de travail

Certains juges sont convaincus qu'une prise de position pro- gouvernementale accélère les promotions et évite toute confrontation avec le gouvernement. Presque invariablement, on doit être dans les "petits papiers" du gouvernement, avant d'être promu à une fonction dans le monde judiciaire.

Les conditions de travail ne sont pas formidables. La rémunération est maigre, ce qui empêche un certain nombre de jeunes avocats très compétents de postuler une place dans la magistrature. Et ceux qui sont en fonction, ont le moral au plus bas.

Les juges prennent encore note par écrit des procès- verbaux dans les tribunaux. Ils n'ont pas d'enregistreurs et les délibérations durent très longtemps, ce qui entraîne une série d'ajournements dans un certain nombre d'affaires. Des prisonniers en détention préventive passent parfois de longues périodes en prison avant que leur cause soit entendue. Il y a peu, le cas d'un suspect qui a passé six ans en prison préventive a attiré l'attention des médias.

Dans certains cas, les sentences prononcées contre les délinquants ne sont pas proportionnelles aux délits. "Suspension de prononcé" et "travaux d'intérêt public" remplaçant une peine de prison ne sont pas connus au Ghana. De même, le système de probation n'est pas utilisé à bon escient et efficacement.

Association du barreau

L'Association du barreau du Ghana, qui fait office de porte-parole des avocats, affirme qu'elle fait tout son possible pour que la justice soit exercée dans tout le pays. Comme le dit son président, Mr Sam Okudzeto: "Nous avons la responsabilité de défendre et de protéger la Constitution et les droits et obligations qu'elle renferme".

Malgré cela, il faut encore faire plus pour donner une meilleure image de la justice au Ghana qui, pratiquement, manque du mordant nécessaire.

END

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