ANB-BIA SUPPLEMENT - ISSUE/EDITION Nr 337 - 01/01/1998

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ISSUE/EDITION Nr 337 - 01/01/1998

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Malawi

Un appareil judiciaire à l'épreuve

by Patrick Mawaya, Malawi, octobre 1997

THEME = JUSTICE

INTRODUCTION

Le système judiciaire du Malawi a connu de nombreux problèmes ces dernières années

Le Malawi compte aujourd'hui près de 12 millions d'habitants et un taux de croissance de 3,2 % par an. Au moins 15 juges de High Court et de Cour suprême assurent l'administration de la justice, dont une seule femme (les femmes représentent 52 % de la population). Environ 150 avocats exercent soit à l'administration, soit dans le privé.

Même si, après l'indépendance, le Malawi a repris en grande partie le système judiciaire anglais, le pays n'a pas d'ordre des avocats ou de conseil de l'ordre. Il existe cependant une Law Society, une association des hommes de loi, qui, en fait, exerce les fonctions d'un ordre des avocats.

Aussi le système judiciaire du Malawi ne fait-il aucune distinction entre les "barristers" (avocats appelés à la barre et qualifiés pour plaider dans une High Court) et les "sollicitors" (avocats qui conseillent les clients en matière de loi). Les avocats du Malawi ont été formés pour s'acquitter d'une tâche comme de l'autre.

Les nominations

Un citoyen devient juge ou magistrat à la suite d'une nomination. Comme condition primordiale, le juge doit posséder une licence en droit et avoir acquis une expérience pratique. Actuellement, seule l'université du Malawi offre une licence en droit au campus du Chancellor College, à Zomba. L'origine tribale n'intervient pas dans la nomination des magistrats et des juges.

Le président de la Cour suprême est nommé par le président de la République et confirmé par l'Assemblée nationale. Les autres juges sont nommés par le président, sur recommandation de la Commission de service judiciaire du Malawi. Cette commission se compose du président de la Cour suprême, du président de la Commission de service public, et d'un juge de la cour d'appel. Après avoir été nommé, un juge peut rester en fonction jusqu'à l'âge de sa retraite (65 ans).

Jusqu'à présent, le Malawi n'a pas encore de programme de recyclage pour les juges en poste. Cependant, des cours de formation continue sont organisés à l'intérieur comme à l'extérieur du pays, de manière à ce que les praticiens de la loi soient en mesure de relever les défis auxquels est confronté le Malawi.

L'indépendance mise au défi

Un appareil judiciaire indépendant est la pierre d'angle de l'exercice de la loi dans n'importe quelle démocratie. En général, l'appareil judiciaire du Malawi est considéré comme indépendant; mais récemment, sa renommée a été mise au défi.

Cela s'est passé au début du procès de l'ancien président Banda et de cinq autres membres de son parti, le Malawi Congress Party (MCP), accusés du meurtre brutal, en 1983, de trois membres du cabinet et d'un membre du Parlement. Le 23 décembre 1995, un jury a déclaré non coupables l'ancien président Banda et ses co-inculpés. Le gouvernement s'est insurgé contre cette décision en arguant que le juge avait mal dirigé le jury, et en appela à la Cour suprême, cette fois sous l'inculpation de "conspiration d'assassinat".

Les avocats au service du gouvernement ont élargi la portée de l'affaire. D'après eux, un "noyau intérieur" était responsable des meurtres. La défense était difficile. Les avocats se référaient à ce que les juges avaient appelé "la dictature existant à l'époque des meurtres". D'après les juges "sous une dictature, on ne peut pas parler de décisions prises par un noyau intérieur puisque, de par sa nature même, le dictateur prend les décisions lui-même". Tous les inculpés furent acquittés. Clairement, au-delà du procès, le gouvernement cherchait à atteindre l'homme fort du MCP sous la dictature du Dr. Banda, l'honorable John Tembo, en arguant qu'il faisait partie du fameux "noyau intérieur".

L'appareil judiciaire du Malawi a donc été capable de résister àl'ingérence du gouvernement.

La corruption menace-t-elle l'indépendance de l'appareil judiciaire? Dans son commentaire, un juge affirme que "cela dépend si vous êtes une personne introvertie ou extravertie. Si c'est quelqu'un qui est à tu et à toi avec tout le monde, il pourra plus difficilement éviter la corruption. Quant à moi, je n'ai pas le temps de sortir, parce que je suis très occupé et j'ai besoin de consacrer du temps à ma famille".

Une révision des appointements des juges

Ce juge a, cependant, oublié d'ajouter qu'une des causes de la corruption des juges se trouve dans leur très basse rémunération. Récemment, l'Assemblée nationale a décidé une augmentation des appointements du judiciaire de 300 %. Avec l'approbation du Parlement, les appointements mensuels des juges vont maintenant de 1.000 US$, pour les juges résidentiels principaux, à 1.700 US$ pour le président de la Cour suprême.

En présentant son rapport sur l'amélioration des conditions de service dans l'appareil judiciaire, la commission parlementaire du budget et des finances fait le commentaire suivant: "Tout en reconnaissant la nécessité d'améliorer les conditions du judiciaire, le comité estime ... que les conditions de service proposées pour l'appareil judiciaire dans son ensemble pourraient libérer des forces que le gouvernement pourrait trouver difficile à contrôler".

Mais ceux qui se sont attelés à la révision des appointements arguent que, outre le fait d'offrir des conditions de service plus attrayantes, elle va contribuer à résoudre le problème du manque de candidats hautement qualifiés aux fonctions judiciaires.

Actuellement, le judiciaire au Malawi est confronté à un manque de personnel, à une insuffisance administrative en matière de conservation des archives, trop peu de personnel qualifié et une charge excessive de dossiers à traiter. Bon nombre de responsables ont quitté des fonctions dans l'appareil judiciaire pour rejoindre le secteur privé de la profession offrant des conditions plus favorables. Ces départs ont créé un vide énorme que le gouvernement ne pourra combler que difficilement. On espère que les appointements plus élevés attireront plus de licenciés en droit à rejoindre le service judiciaire.

A noter qu'outre les appointements, le gouvernement offre également un véhicule de service et un logement gratuit.

L'amélioration des conditions de service dans le judiciaire n'est cependant pas une garantie pour retenir les avocats qui rivalisent actuellement pour rejoindre les firmes privées. Beaucoup de jeunes avocats se disent en fait qu'avec l'augmentation constante du coût de la vie au Malawi, il est important de gagner autant d'argent que possible. "Et c'est une chose que l'on ne peut pas faire en travaillant pour le gouvernement".

Réforme légale et judiciaire

Le système de justice criminelle a été réformé en 1995 avec le soutien financier de la Division britannique de développement de l'Afrique centrale (BDDCA). Sous le nom de "The Malawi Legal and Judicial Reform Project", le projet s'est centré sur pas mal de secteurs, comme par exemple les délits donnant lieu à une détention, la libération sous caution, le relâchement d'un prévenu, le cautionnement, les amendes de police, la règle des 48 heures, les délits de la circulation routière, une reformulation des documents précisant les délits, le développement d'un code de conduite pour les praticiens de la loi, le développement d'un code de conduite des responsables judiciaires du Malawi, la révélation de déclarations de témoins, les cas d'homicide, les condamnations.

Il était en fait nécessaire de clarifier bon nombre de questions légales. Par exemple, quand faut-il un mandat d'arrêt avant d'arrêter quelqu'un? Pendant combien de temps, la police peut-elle détenir quelqu'un alors qu'elle poursuit ses investigations? Dans quel délai après son arrestation, un détenu doit-il être présenté devant un tribunal? L'obligation d'informer les suspects de leurs droits légaux.

En ce qui concerne la "règle des 48 heures" (la durée maximale de détention d'une personne avant qu'elle ne soit présentée devant un tribunal), on s'est rendu compte qu'il y avait des problèmes d'interprétation par rapport au par. 42,2,b de la Constitution. Ce paragraphe établit le droit de toute personne à la liberté, et précise que toute personne arrêtée ou détenue doit comparaître devant un tribunal dans les 48 heures afin qu'elle puisse: a) être inculpée, ou b) informée des raisons de sa détention si nécessaire, ou c) être susceptible d'être libérée sous caution.

Dans le cadre du projet on s'est également aperçu de l'absence singulière de tout code de conduite de la profession juridique. Un projet de code a entre-temps été élaboré, mais n'est pas encore entré en vigueur. Une fois que ce sera fait, il y aura une nette amélioration de la gestion des dossiers et une réduction des ajournements inutiles de procès, dus à l'absence d'hommes de loi ou à l'indisponibilité des témoins.

Le système légal du Malawi connaît un énorme problème en ce qui concerne les détenus sujets à des renvois successifs d'audience, surtout ceux accusés d'homicide. Les raisons avancées sont: les retards dans le traitement des dossiers suite aux prolongements indus des enquêtes, les retards avec lesquels les dossiers sont transmis aux services des poursuites (souvent plus d'un an), les retards dans la comparution de détenus accusés d'homicide devant la High Court à cause de problèmes financiers (souvent au sujet du payement des allocations dues aux jurés).

Rendons la justice

Au Malawi, les juges semblent être capables de garder leur indépendance; mais ce n'est pas aussi évident pour les autres départements de la justice. Les politiciens de l'opposition font l'objet d'accusations malveillantes. Le directeur du service des poursuites publiques (DPP) semble danser au rythme de la clique au pouvoir. Les avocats du gouvernement se trouvent sous les ordres du DPP et du procureur général, et non de la Law Society. Le ministre de la Justice et le procureur général, Me Cassim Chilumpha, sont une et même personne, évidemment affiliée au parti au pouvoir.

Que faudrait-il donc faire? 1) Les magistrats et tous leurs subordonnés devraient faire un effort pour préserver leur intégrité personnelle. Leur fonction deviendrait alors crédible aux yeux du public. 2) Il faut engager au service des tribunaux des avocats parfaitement qualifiés. 3) La détention préventive de 48 heures doit être strictement observée. 4) Les fonctions de ministre de la Justice et de procureur général doivent être séparées. 5) La Law Society et l'assistance judiciaire doivent coopérer, de manière à ce que justice puisse être rendue à ceux qui n'ont pas les moyens de payer un avocat.

L'appareil judiciaire du Malawi est engagé dans une épreuve. Son but: offrir une justice pour tous.

END

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