ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 359 - 01/01/1999

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Cameroun francophone

Une guerre qui manque de nerf


by Valentin Siméon Zinga, Yaoundé, Octobre 1998

THEME = SIDA

INTRODUCTION

Dans un pays peuplé de sceptiques,
ce sont surtout des ONG
qui se sont lancées dans la lutte contre la maladie

De 1985 à 1997, le Cameroun a enregistré officiellement 13.576 cas de sida pour une population évaluée à quelque quatorze millions d'habitants en 1998. Spécificité camerounaise: le VIH y est en pleine mutation. D'où la mobilisation des pouvoirs publics, et celle plus visible des organisations non gouvernementales engagées dans la sensibilisation et la prévention. Mais gouvernement et associations restent confrontés au problème chronique du manque de moyens financiers.

Les "Amis de Prudence"

Assise dans son minuscule bureau de Yaoundé, Adèle Voundi a la main posée sur un "Nouveau Testament" ouvert, comme si elle cherchait du secours dans les Ecritures. Cette quadragénaire, modeste fonctionnaire au ministère de la Santé, se bat depuis 1993 pour faire entendre sa voix dans un pays peuplé de sceptiques qui cherchent encore les "preuves" du sida. Elle travaille à la tête de l'"Association des Amis de Prudence", constituée principalement de "filles libres" (euphémisme pour désigner les prostituées). Celles-ci font les trois quarts des effectifs; mais, au fil des ans, des hommes ont rejoint les rangs.

Sensibilisation: c'est le maître mot de cette association. Ce peut être par le biais de descentes dans les buvettes et autres gargotes de la ville. La tâche n'est pas aisée. "Les gens sont toujours réticents. Peut-être parce qu'ils sont en groupe. Ils ont honte de parler de la maladie. Mais, par la suite, de nombreuses personnes rencontrées dans les buvettes lors de notre passage, reviennent individuellement nous voir dans nos bureaux", explique Adèle.

Dans la stratégie de l'association, les causeries occupent une place de choix. Elles peuvent avoir lieu dans un quartier d'une ville ou dans un village. Dans ces cas, ce sont les "filles libres" qui sont à l'oeuvre. Elles commencent par obtenir auprès des autorités traditionnelles ou administratives l'autorisation de travailler là où elles ont choisi de le faire, ou aux endroits où elles ont été invitées par des groupes. Elles obtiennent un rendez-vous selon le cas. Puis, le jour convenu, elles débarquent. "Généralement, rappelle Adèle, on peut partir d'une affiche de campagne, d'un petit film qu'on projette ou d'un sketch qui est interprété. A la fin, les questions fusent de l'assistance, ou alors c'est nous qui demandons au groupe ce qu'il a retenu".

Quel que soit le cas, il s'agit toujours de faire passer un message à travers un jeu de questions/réponses. Au bout du compte, sont expliqués les symptômes de la maladie, ses modes de transmission et les méthodes de prévention. "Nous conseillons la fidélité dans les couples, généralement aux adultes. Nous invitons les jeunes à faire preuve d'abstinence. Et à tous ceux qui ne peuvent observer ces deux premières règles, nous conseillons fortement le port du préservatif avant tout rapport sexuel", déclare Adèle. Un travail de fourmi, qui se poursuit à la radio et à la télévision, à travers des jeux de questions/réponses, et la projection de téléfilms conçus et mis en scène par l'association. Le tout est inséré dans le programme d'un événement précis, à l'exemple des journées internationales du sida.

Comme il est difficile d'évaluer ces actions, il est important pour l'association d'avoir au moins une idée de leur impact au sein des groupes. "Après un certain temps, souvent six mois après notre passage, nous faisons venir les leaders des groupes. Nous leur passons un "post- test": par le biais de questions/réponses, nous pouvons savoir ce qu'ils ont retenu. Cette étape est d'autant plus importante que ces leaders sont des "relais d'informations", car ce sont eux qui doivent informer les voisins, les proches, les familles", résume Adèle.

C'est un travail de téméraires, de bénévoles animés par le seul souci de servir une cause. L'association n'a pas de fonds. "De temps à autre, un sponsor peut s'engager à financer un projet ponctuel que nous lui soumettons", affirme la présidente. Son association organise aussi chaque année une "semaine culturelle"" au cours de laquelle ses activités connaissent un véritable boom. Parmi les bienfaiteurs, la représentation locale d'une grande firme de fabrication de cigarettes a permis la couverture d'une partie du territoire national; l'"Association des femmes de diplomates" a contribué à l'aménagement d'une salle de répétition pour les sketches et scènes des téléfilms; l'ambassade de Belgique a aidé à l'acquisition de matériel éducatif et la confection de t-shirts sur le sida..., à quoi il convient d'ajouter l'aide de l'Organisation mondiale de la santé (OMS).

Et pourtant, si l'association veut continuer à vivre, elle doit se garder de compter uniquement sur les apports extérieurs. Dans cette perspective, des petites activités génératrices de fonds ont été menées. "Nous organisons des journées gastronomiques, nous faisons aussi de la teinture, nous imprimons des bandes dessinées qui parlent du sida en termes pédagogiques", révèle Adèle. Malgré la modicité des moyens, la présidente de l'association entend bien poursuivre ses activités. Ses "amazones", lancées sur le front de la prévention, suivent deux fois par an un recyclage sur les méthodes de sensibilisation, pour "se réajuster et être à la hauteur des défis de leur tâche".

L'ASAC

D'autres organisations se sont également créées afin de barrer la route au VIH et à ses ravages. Ainsi l'"Association sidalète Cameroun" (ASAC), qui s'est jointe à la lutte pour la prévention de la maladie et ne manque pas de revendiquer quelques spécificités. Au premier rang de celles-ci, une ouverture politique. "Je suis militant d'un parti politique, et je sensibilise mes jeunes camarades pour diffuser, dans nos rangs et en dehors, les messages sur le sida", affirme Jean-Marie Talom, le responsable Information-Education- Communication de l'ASAC. Autre signe distinctif: le secours apporté à certains groupes: "Nous travaillons avec les veuves de ceux qui sont morts du sida. Nous les impliquons dans la lutte contre la maladie, nous les aidons à mener des activités génératrices de revenus pour subvenir à leurs besoins. A certains orphelins, nous payons les frais de scolarité", poursuit Talom. Leurs campagnes de sensibilisation sont tout aussi originales: "Nous parcourons les hôpitaux pour amener les gens à prendre conscience des dangers que représentent les seringues usagées qui traînent un peu partout dans les formations hospitalières", affirme-t-il.

Les actions de l'ASAC, qu'elles se déroulent en ville ou à la campagne, semblent avoir contribué à rehausser son image auprès de certaines organisations, qui ont trouvé en elle de précieux partenaires. L'ASAC a travaillé de façon spécifique avec certaines confessions religieuses. L'un des souvenirs les plus significatifs reste sa collaboration avec le Centre de santé catholique basé à Yaoundé, qui a mis sur pied le programme EVA (Education à la vie et à l'amour). Chaque année, des enseignants des niveaux primaires et secondaires, ainsi que des élèves venant de tout le pays, se retrouvent à la capitale où ils suivent des enseignements donnés par des responsables de l'ASAC sur les méthodes de sensibilisation à la lutte contre le sida. Ces "séminaristes" vont à leur tour, une fois qu'ils regagnent leurs écoles et collèges respectifs, diffuser les messages et assurer l'éducation de groupes, sur la base des cours théoriques reçus. Bien sûr, se posent des questions de l'éducation sexuelle en milieu scolaire dans une situation où il faut bien concilier les exigences de la pudeur, avec les impératifs de sensibilisation... Une question à laquelle Talom réfléchit. Il est fier cependant que l'ASAC permette aux jeunes de faire des tests de sida à des prix revus à la baisse, grâce au professeur Lazare Kaptue, médecin de renom et président de l'ASAC, l'un des tout premiers noms que les Camerounais ont retenus dans l'offensive contre le sida.

Le gouvernement et les ONG

Toutes les associations qui proclament lutter contre ce fléau de fin de siècle, sont en vérité des organisations non gouvernementales: leurs objectifs sont tantôt d'"améliorer les connaissances des jeunes en matière de santé reproductive", comme le dit l'Association des jeunes anti-sida; tantôt encore de "former les leaders intermédiaires en animation de groupe, et sensibiliser les populations sur les MST/sida à travers le théâtre", comme s'en prévaut le Centre d'animation sociale et sanitaire de Yaoundé.

Le gouvernement camerounais en a recensé 67 au total, qui couvrent inégalement le territoire national: 78,8% d'entre elles sont concentrées dans la province du Centre (dont le chef-lieu est la capitale).

Les provinces de l'est, du nord et de l'extrême nord (la plus peuplée du pays) n'ont pas d'ONG. Il n'empêche, le gouvernement considère les associations comme des partenaires dans le cadre de son programme de lutte contre le sida.

Pour bâtir sa stratégie, l'Etat a organisé, d'avril à juillet 1998, une série de consultations sur l'ensemble du territoire, avec des ONG, des partenaires au développement, les femmes leaders et la société civile. Dans un document officiel, le "Comité national de lutte contre le sida", créé déjà en 1985, indique aujourd'hui qu'il veut: "faire en sorte que la population comprenne mieux la question du VIH/sida; diffuser de l'information et des données sur les activités de prévention; diffuser de l'information scientifique sur la population actuellement touchée par l'infection et sur les populations vulnérables, pour que les mesures de prévention nécessaires soient prises; appuyer sur des initiatives d'éducation des professionnels de la santé, des services sociaux et de l'enseignement, dans le domaine de la prévention du VIH/sida". Les autorités camerounaises qui savent que la "prévention reste le seul moyen de défense contre le VIH", ont décidé de mettre l'accent sur les soins, les traitements et la surveillance de l'épidémiologie, la sécurité transfusionnelle (15% des cas de transmission du VIH sont imputées à la transfusion sanguine) et la recherche.

Ceci d'autant plus que, selon le ministère de la Santé publique, "les recherches montrent que le virus de l'immunodéficience humaine, qui cause le sida, est en pleine mutation chez nous, ce qui pourrait avoir un effet sur l'efficacité d'un traitement ou d'un vaccin éventuel".

En tout, un ambitieux programme qui nécessitera annuellement quelque 1,5 milliard de francs CFA. Les populations et les observateurs attendent de voir le gouvernement quitter le stade des simples intentions, aussi louables soient-elles.

Les pouvoirs publics ont les regards tournés vers la communauté internationale. Mais peut-être faut-il d'abord commencer par mobiliser les ressources propres du pays. D'autant que, comme aime à le rappeler l'actuel ministre de la Santé, le professeur Monekosso: "Dans sa politique, le président de la République, Paul Biya, a mis l'accent sur le secteur social, y compris la santé et l'éducation".

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