ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 359 - 01/01/1999

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Sénégal

Une boutade qui masque le problème


by Alain Agboton, Sénégal, décembre 1998

THEME = SIDA

INTRODUCTION

"Peut-on apprécier la saveur d'un bonbon en le suçant avec son emballage?"
Cette piquante métaphore sur l'usage du préservatif a été servie par un jeune.
Une boutade qui masque le problème et le dilemme.

Le Sénégal est, en Afrique, l'un des pays les moins atteints par le sida. Selon le Dr Ibra Ndoye, directeur du Programme national de lutte contre le sida, le taux de prévalence y est de l'ordre de 1%, (quand, par exemple, le Botswana affiche 30%), un taux validé par l' ONUSIDA lors de sa conférence mondiale tenue à Genève en 1998.

De 6 cas en 1986, le Sénégal en est aujourd'hui à 2500 cas déclarés. Cependant, sur une population globale de 8 millions d'habitants, l'estimation plus proche de la réalité indique que le nombre de sidéens serait d'environ 80.000, dans la mesure où le dépistage et les consultations au sein des infrastructures hospitalières ne sont ni courantes ni régulières. Il n'empêche que des succès ont été enregistrés et ont entraîné un ralentissement de la progression de la pandémie, et par conséquent le maintien à un "bas niveau" du sida au Sénégal. Ses efforts ont été salués par la communauté scientifique internationale qui vient de lui décerner un prix d'excellence (le 14 décembre). 50 malades, avec l'aide de l'Etat, sont sous traitement antirétroviral, un traitement qui en est à ses débuts.

Même si, insuffisants, les moyens ne sont pas à la hauteur, il reste que le cap est maintenu. Pour le Dr Ibra Ndoye, qui est aussi président de l'Union africaine contre les MST, les résultats probants atteints le doivent à deux grands axes que sont, dans le cadre de la politique nationale, la priorité accordée à la prévention (avec un accent mis sur la transmission sexuelle, la transmission mère-enfant et la transfusion sanguine) et la prise en charge. Pour les autorités sénégalaises, une proportion de 3% représenterait une cote d'alerte voire une catastrophe.

Pourquoi cette prévalence réduite?

Pourquoi, à l'inverse de nombre de pays d'Afrique qui réalisent des taux catastrophiques de l'ordre de 10 à 30%, le Sénégal brille-t-il, proportionnellement, par le faible taux de la pandémie? Beaucoup de raisons et de facteurs sont avancés par le Pr Souleymane, une sommité scientifique.

Il est bien placé pour en parler. Président du Réseau africain de recherche sur le sida et coordonnateur de la Convention universitaire de recherche sur le sida (impliquant notamment les universités de Dakar, de Harvard aux USA et de Limoges en France), il a été l'un des tout premiers en Afrique à se pencher sur cette pandémie et ses recherches connues mondialement suscitent l'intérêt de l'ONUSIDA, car ses travaux ont beaucoup participé à la connaissance du virus, surtout celui du VIH 2.

Il attribue cette faible prévalence et sa lente progression au fait que, depuis les années 70, il existait au Sénégal un programme de lutte contre les MST (un programme efficace et porteur qui n'existait pas dans nombre de pays d'Afrique), ainsi qu'à l'exécution d'un bon système de transfusion sanguine, à l'intégration aisée des programmes de lutte contre les MST et du sida, à "l'habitude associative" existant au Sénégal et favorable à la mobilisation sociale, au contrôle de leur sexualité par les femmes (d'où un comportement positif marqué aussi par l'influence de la société), à la bonne connaissance générale du sida et au taux relativement élevé de l'usage du préservatif. Autant de facteurs identifiés et authentifiés par des études.

Par contre, ce qui n'a pas été démontré ce sont les facteurs liés à la religion (l'islam est majoritaire à raison de 90%), à la polygamie (49% des ménages), au lévirat, au sororat et l'excision (encore en vigueur dans certaines ethnies) et à l'émigration, des phénomènes à relativiser faute d'études circonstanciées.

Femmes et sida

Au Sénégal, les femmes commencent à être affectées en très grand nombre. Une méga- conférence internationale doit se tenir à Dakar du 14 au 17 décembre. Organisée par l'une des trente sections nationales de l'Association panafricaine des femmes pour la lutte contre le sida, la SWAA - Sénégal, cette 7ème rencontre africaine devrait faire le point, après celles de Harare, Lagos, Yaoundé, Arusha, Lusaka et Gaborone, sur "Femmes et sida" sous l'angle et le thème intitulé "Elargir la réponse à l'infection du VIH, renforcer la capacité des hommes".

Créée en 1988, la SWAA, face à l'avancée du sida qui se fait au détriment des femmes, vise à mettre en place des stratégies de lutte contre l'infection au VIH et à aider les femmes à mieux faire face à la menace. La propagation de la maladie au sein des femmes sénégalaises enregistre une progression rapide et alarmante. Elles constituent la moitié des malades, voire plus, selon une des responsables de la SWAA, une estimation corroborée par le Dr Ibra Ndoye. D'où le fait qu'elles font l'objet de plus en plus d'égards. A la SWAA, on fait remarquer qu'elles sont, malgré un fort taux d'analphabétisme assez handicapant (78%), très "réceptives" aux programmes IEC (information-éducation-communication).

Religions et vie associative

Faut-il imputer à la religion la responsabilité d'une telle prévalence? Quelle est sa portée? On se souvient qu'en octobre 1997, une conférence internationale, baptisée "Sida et religion" et réunissant à Dakar des représentants d'Asie, d'Afrique, du Moyen Orient, d'Europe et des Amériques, avait dégagé la nécessité d'impliquer les religieux dans une sainte alliance avec les Etats dans la lutte contre le sida, arguant que la pandémie n'était pas "une punition divine", comme une certaine imagerie populaire tendait à le faire accroire.

Les religions révélées ont unanimement véhiculé des messages portant sur l'abstinence et la fidélité qui demeurent, selon elles, les meilleurs instruments de prévention et donc des armes propres à faire reculer le sida. Aussi, la morale, la discipline, la responsabilité et la foi ont-elles été magnifiées. A la fin des travaux, un groupe de travail pour le suivi a été constitué, et au cours du premier trimestre 1999, une évaluation des recommandations devrait être faite à Dakar ou à Abidjan.

L'importance des religions, on le voit, est primordiale. De l'avis de M. Paul Sagna, directeur exécutif de SIDA-SERVICE, une structure d'intervention relevant de l'épiscopat sénégalais, elle vise à la responsabilisation personnelle des populations, au respect et la maîtrise du corps, ainsi qu'au raffermissement de la foi et la fidélité, qui sont essentiels dans la prévention et la lutte contre l'infection. Il faut "éduquer", conseille-t-il encore, car le préservatif qui est récusé par l'Eglise catholique "ne protège pas à cent pour cent".

A noter que SIDA-SERVICE fait de "l'accompagnement social, moral et spirituel" à travers des causeries, conférences et autres animations dans les quartiers et jusque dans le milieu carcéral. Ses messages seraient "bien reçus" dans la société sénégalaise fortement islamisée. Les principes islamiques recoupent ceux de la religion catholique, se plaît à relever M. Paul Sagna; ce sont: "chasteté avant le mariage, et fidélité après le mariage". Fidélité tant dans le mariage monogamique que polygamique, observe-t-il. Et il souligne qu'il s'agit là d'un "message de vérité".

L' autre chance du Sénégal réside dans sa vie associative. L'une des associations les plus efficaces de cet environnement est l'Alliance nationale contre le sida (ANCS), créée en 1994, dont la maison mère est à Londres. Elle est en terrain propice et fertile dans la mesure où elle n'éprouve pas grande difficulté à encourager, appuyer et renforcer la participation des ONG et des groupes communautaires (dont ceux de SIDA-SERVICE et de la SWAA) par le financement des activités et programmes de prévention et de soutien/accompagnement.

L'ANCS parvient aisément à mettre en place un plan d'assistance technique afin de renforcer les capacités des associations à mieux s'impliquer dans la lutte contre l'épidémie à VIH. Organisation d'appui au secteur communautaire, elle obtient des résultats non négligeables, à en croire Mme Magatte Mbodj, responsable des programmes de l'ANCS, tant dans les "activités ponctuelles" que dans la mise en oeuvre d'un plan d'action, à travers une "stratégie participative".

L'ANCS a financé, depuis sa naissance, quelque 250 projets variant entre 2.500 et 50.000 FF. Dans les "poches" de sida, comme les régions de Kaolack, le Fleuve, Thiès et Dakar, son action serait déterminante. Cette endémie comporte une dimension sociale indéniable.

Virus différents

On rencontre deux types de sida au Sénégal. Les recherches du Pr Souleymane Mboup ont permis de faire un tableau épidémiologique très instructif. Si le VIH 2, surtout localisé en Afrique de l'Ouest (mais qu'on retrouve aussi dans d'autres zones africaines et asiatiques) est évidemment présent au Sénégal, le VIH 1 est devenu "légèrement supérieur" au cours des dernières années.

A partir d'une étude appelée "étude de cohorte" (suivi dans le temps de sujets infectés ou non), le constat révèle que le VIH 2 est resté "stable ou en décroissance", et que le VIH 1 a "augmenté exponentiellement" grâce à sa "dynamique propre, ce qui pose d'énormes problèmes car il est plus virulent". Ce sont des virus avec des taux de transmission différents. Le VIH 2 se transmet moins vite par acte sexuel et il est moins pathogène. Ainsi, le Pr S. Mboup, par ailleurs président pour l'Afrique de l'Alliance civile et militaire de lutte contre le sida (il est militaire), a-t-il pu déterminer que la dissémination, annuellement, est plus lente par le VIH 2 (0,5%) que par le VIH 1 (3 à 5%).

La durée d'incubation du VIH 2 est plus longue. Par exemple, quand deux personnes contractent en même temps l'une et l'autre des virus, celle qui est affectée par le VIH 1 développe la maladie six à dix fois plus vite que celle contaminée par le VIH 2. Les recherches du Pr S. Mboup ont conduit également à attirer l'attention sur la transmission mère-enfant qui pour le VIH 1 atteint des pics de 20 à 30%, alors que pour le VIH 2 elle se situe entre 0 et 8%.

Accompagnement

Il existe un Réseau des personnes vivant avec le sida, présidé par M. Pape Moussé Ndiaye qui, à l'occasion d'une manifestation de la Journée mondiale anti-sida (le 1er décembre), a appelé la jeunesse (cible de cette année) à "prendre conscience de sa sexualité et d'utiliser des préservatifs. Nous ne voulons plus nous cacher", devait-il ajouter en demandant à l'Etat de renforcer la prise en charge.

Le sidéen, un paria? C.M., séropositif, vit le calvaire. "A cause de mon mal, ma famille me considère comme un bon à rien, on respecte les chiens plus que moi", se plaint-il tout en déplorant le fait que des malades continuent à "vivre dans l'anonymat". Et d'avertir que "au rythme où vont les choses, si la confidentialité continue, le sida fera des ravages au Sénégal".

Médecine traditionnelle

Quelle est la place de la lutte anti-sida dans la médecine traditionnelle? Un aspect à considérer, quand on sait qu'environ 85% des Sénégalais la consultent. Voici la réponse du Dr Eric Gbodossou, médecin classique moderne qui préside aux destinées de... l'hôpital traditionnel très connu au Sénégal et à l'étranger, le Malango, situé à Fatick à quelque 150 km au sud-est de Dakar. La médecine traditionnelle "isolée dans la thérapie anti-sida" ne mérite pas cette discrimination, fait-il valoir, et peut apporter beaucoup si tant est qu'elle est débarrassée de sa gangue mystico-religieuse. "La logique veut qu'on cherche aussi de ce côté-là", souligne-t-il, surtout au niveau de l'IEC (les guérisseurs étant des "agents irremplaçables"), de la guérison, de la prise en charge des maladies opportunistes et de la participation à la recherche.

Toute politique sanitaire efficace doit "disséquer" le rôle de la médecine traditionnelle, en tenir compte et être centrée sur les réalités locales, estime encore le Dr Eric Gbodossou. La médecine traditionnelle a eu des résultats "évidents" dans le cadre des "maladies opportunistes" du sida et des "maladies virales", note-t-il.

Au total, la thérapie traditionnelle peut être d'un "apport inestimable" et, à son avis, le 1er Congrès international qu'il compte organiser en mars 1999 (annonce inédite) le prouvera. Il réunira des guérisseurs d'une quinzaine de pays africains mais aussi des tradithérapeutes amérindiens, aztèques, mayas et hawaïens à côté de sommités scientifiques et de chercheurs attendus non seulement d'Afrique mais également d'Europe et surtout des Etats-Unis.

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