[1] Maître Du Congo, Complice De Génocide

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http://www.liberation.fr/quotidien/semaine/981127venb.html

Maître du Congo, complice de génocide

Laurent-Désiré Kabila,chef de guerre ethnique, refuse les enquêtes de l'ONU.

Par STEPHEN SMITH

Le vendredi 27 novembre 1998

Aux suivants

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De nombreux chefs d'Etat africains -du Tunisien Ben Ali au roi du Maroc en passant par le Camerounais Biya, le Tchadien Déby, le Togolais Eyadéma et le Mauritanien Ould Taya- seraient passibles de poursuites pour violations du droit international, si on y incluait le recours systématique à la torture. Cependant, si plusieurs d'entre eux sont des dictateurs ayant du sang sur leurs mains, seuls Laurent-Désiré Kabila et les dirigeants actuels du Rwanda pourraient être accusés de«crimes contre l'humanité». Par ailleurs, et malgré sa victoire électorale il y a un an, l'ancien warlord du Liberia, Charles Taylor, pourrait être assigné pour les «crimes de guerre» commis par sa faction.


n marchant sur Kinshasa, Laurent-Désiré Kabila a enjambé quelque 200 000 cadavres. Il ne s'agit pas des victimes de la «rébellion» qui, d'octobre 1996 à mai 1997, a eu raison, pratiquement sans coup férir, de la dictature trentenaire du maréchal Mobutu. Entrepreneur politique sans cause ni scrupule, Kabila a sacrifié 200 000 hutus réfugiés dans l'ex-Zaïre pour se faire porter au pouvoir par l'armée rwandaise. Devançant ses kadogo, les «petits jeunes» enrôlés chemin faisant par le mouvement rebelle, les soldats tutsis ont réglé leur compte aux hutus, tenus collectivement pour responsables du génocide perpétré en 1994 contre les Tutsis au Rwanda. S'autoproclamant président de la nouvelle république démocratique du Congo, le 17 mai 1997, Kabila s'est doté des «pleins pouvoirs» que lui conférait l'unique article d'une Constitution qu'il avait lui -même rédigée. Depuis, il règne en maître absolu sur l'ex-Zaïre, plus que jamais le pays-continent de l'arbitraire au cœur des ténèbres. Au minimum complice du crime con tre l'humanité que constitue le massacre des réfugiés hutus, Kabila a empêché une commission d'enquête des Nations unies d'élucider les circonstances exactes de ces «actes de génocide».

Qui est Laurent-Désiré Kabila ? Lorsque l'ex-révolutionnaire des années 60 refait surface en octobre 1996 comme «porte-parole» de l'Alliance des forces de libération du Congo-Zaïre (AFDL), inconnue auparavant, peu se souviennent du compagnon de maquis auquel le «Che» a consacré quelques lignes peu amènes. On sait encore moins que le prétendu «anti-Mobutu», qui serait sorti de Hewa bora - une «terre libre» préservée dans les montagnes de l'est du Zaïre - après trente ans de résistance contre le maréchal prédateur, est le gourou d'une secte maoïste aux mœurs répressives, un preneur d'otages et trafiquant de matières premières. Dans son maquis, des paysans réduits en esclaves orpailleurs devaient l'appeler «Kabila lumière» ou «Kabila créateur».

Mais le récit de ces turpitudes, écrit en 1975 par un zoologiste américain pris en otage avec trois autres chercheurs, tous finalement libérés en échange d'une rançon, reste enfermé à double tour à Washington, dans les archives du département d'Etat. Kabila est alors l'ami des alliés américains dans la région, du président ougandais Yoweri Museveni et du général Paul Kagame, l'homme fort du Rwanda. Ces derniers fournissent des troupes combattantes au «chef rebelle», qu'ils installent à Kinshasa comme leur vassal.

Guerre ethnique.L'Ouganda s'érige en puissance régionale. Quant au pouvoir tutsi au Rwanda, issu du génocide de 1994, il envoie ses bataillons pour déloger les Hutus réfugiés au Zaïre. La guerre contre Mobutu, qui est en même temps une campagne de vengeance, débute par la dispersion violente en octobre 1996 du chapelet de camps agglutinés le long de la frontière rwandaise qui constituent, de fait, une menace existentielle pour le nouveau régime. Sur plus d'un million de réfugiés hutus, près de 700 000 rentrent au Rwanda. Mais 300 000 autres fuient vers l'ouest pour échapper à la servitude, qui est le lot commun des Hutus depuis 1994 au «pays des mille collines». Sur quelque 2 000 kilomètres, de Bukavu et Goma jusqu'à Mbandaka sur le fleuve en passant par Kisangani, les deux tiers de ces persécutés se font massacrer ou périssent de maladie ou de faim. Lorsque des voix s'élèvent pour dénoncer le crime, Kabila se contente de nier les faits quand il ne fait pas assassiner ou emprisonner les rares témoins. Il tra ite de «psychopathe» la commissaire européenne chargée de l'Aide humanitaire, Emma Bonino,un forestier français de Kisangani, Jean-Marie Bergesio, disparaît pendant cent soixante-deux jours dans un «cachot» de la capitale.

L'ONU bredouille.En août 1997, après un bras de fer de quatre mois, une commission d'enquête de l'ONU débarque à Kinshasa. Pendant près d'un an, Kabila fera obstruction à ses tentatives d'accéder aux charniers dans la forêt équatoriale. Finalement, les enquêteurs repartent bredouilles. En juillet 1998, le Conseil de sécurité en appelle à Kabila pour qu'il mène sa propre enquête. Le nouveau dictateur de Kinshasa accède à cette demande. Après avoir renvoyé ses anciens frères d'armes tutsis, le 27 juillet, et notamment son chef d'état-major James Kabare, le condottiere qui l'a installé sur le fauteuil présidentiel, Kabila impute le massacre des Hutus à l'armée rwandaise. Il est particulièrement bien placé pour le savoir : son propre fils, Joseph, né d'une mère tutsie, a été l'«adjoint opérationnel» de James Kabare. Fin août, Kabila a d'ailleurs renversé le front de la haine ethnique en appelant publiquement à la chasse aux Tutsis, alors victimes de pogromes.



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