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http://www.liberation.fr/quotidien/semaine/981128samd.html
La sécurite africaine débattue à Paris
Chirac a appelé à la responsabilité des dirigeants du continent.
Par MARIE-LAURE COLSON
Le samedi 28 et dimanche 29 novembre 1998
endredi, au Carrousel
du Louvre, certains
cherchaient la Joconde.
D'autres, la XXe
Conférence des chefs
d'Etat d'Afrique et de
France, dont c'était, au
sous-sol de l'un des plus
grands musées du monde,
l'ouverture officielle.
Grâce aux plumets des
gardes républicains, les
représentants des 49
délégations africaines ont
quitté les allées
touristiques et retrouvé
leur hôte Jacques Chirac.
Les chefs d'Etat ont été
dirigés vers des rangées
de fauteuils organisées
selon un protocole
complexe, révélateur des
tensions qui empoisonnent
les relations des amis
africains de la France. Relégué en bout de rang, Laurent-Désiré Kabila fut assis
à une distance raisonnable de ses pairs et désormais
ennemis rwandais et ougandais, les présidents Bizimungu et Museveni. Depuis
qu'ils sont arrivés à Paris, les protagonistes de la guerre qui déchire le Congo
-Kinshasa se disent prêts à se rencontrer, mais à des
conditions incompatibles. La délégation rwandaise distribue généreusement une
brochure riche en photos de lynchage de Tutsis,
accusant Kabila de génocide. L'ambiance n'est pas non plus des meilleures entre
Addis-Abeba et Asmara, bien que le chef du
gouvernement éthiopien et le président de l'Erythrée aient été dangereusement
placés l'un derrière l'autre.
Protestations. A l'extérieur du Carrousel, la présence des chefs d'Etat
africains a donné lieu à des protestations. La police a interpellé des membres
de Reporters sans frontières qui tentaient de manifester
contre les «prédateurs de la liberté de la presse». A quelques pâtés de maisons
du Louvre, les associations Agir ici et Survie organisaient un après-midi de
témoignages critiques sur les relations
franco-africaines. Arnaud Montebourg, le président du groupe d'amitié
parlementaire France-Djibouti (PS, PC), a boudé le dîner,
offert vendredi soir par Jacques Chirac, pour protester contre les atteintes à
la liberté commises par le régime de Hassan Gouled
Aptidon. Les chefs d'Etat africains ont même failli être embêtés par leurs
propres compatriotes. Vendredi après-midi, 21 sans-papiers,
qui manifestaient au Louvre pour que leurs présidents obtiennent de Paris leur
régularisation, ont été interpellés. Kabila, contre lequel des associations de
droits de l'homme (FIDH et Ligue française) avaient
porté plainte pour «torture», peut, lui, souffler: le parquet de Paris a décidé
vendredi de ne pas poursuivre le président de la RD-Congo.
Minute de silence. Avant les réunions à huis clos, la première journée de ce
sommet consacré à la sécurité sur le continent africain a débuté par les
allocutions de Jacques Chirac, Blaise Compaoré, hôte
burkinabé du précédent sommet de 1996 et président en exercice de l'OUA, ainsi
que de Kofi Annan, le premier secrétaire général de
l'ONU à être invité à la messe franco-africaine. Après avoir demandé une minute
de silence en mémoire du président comorien, Jacques
Chirac a assuré à ses hôtes que la France croyait à la stabilité et au
développement de l'Afrique. La France, a-t-il ajouté, «est
disponible, aujourd'hui comme hier, pour être l'un de vos partenaires dans la
réalisation de ces objectifs». Comme Blaise
Compaoré, le président français a développé l'idée qu'en cas de conflit, la
région ou la sous-région était le cadre privilégié pour «poser les premiers
coupe-feux».
Renaissance africaine. Mais la prévention des crises exige un environnement
institutionnel stable, de la «bonne gouvernance et
donc des chefs d'Etat dignes de ce nom», dit implicitement Jacques Chirac,
rejoignant ainsi l'appel de Kofi Annan à la responsabilité des dirigeants du
continent. La volonté de l'Afrique de prendre en main la résolution de ses
crises, une des «applications de cette renaissance
africaine chère au vice-président sud-africain Thabo Mbeki», est à saluer. Mais
la communauté internationale ne saurait être exonérée
de toute responsabilité en matière de sécurité, estime le président français. Ce
serait «de la dernière hypocrisie que de multiplier les
réflexions sur la prévention et le règlement des conflits, ou des exercices de
maintien de la paix ici et là, si l'on devait tourner la
tête lorsque des crises graves surgissent». Jacques Chirac a rappelé que la
France avait contribué matériellement à des initiatives de maintien de la paix
et que, pour le reste, des «accords de défense
contre des menaces extérieures lient Paris à ses "pays amis"».
La Guinée-Bissau n'est pas dans ce cas. Pendant que son Premier ministre
siégeait à Paris, à Bissau, une majorité de députés présentait au Parlement
guinéen une motion exigeant la démission du président
Vieira, accusé d'avoir violé la Constitution en faisant appel, sans l'accord de
l'Assemblée, à des troupes étrangères, du Sénégal et de
Guinée-Conakry.