ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 342 - 16/03/1998

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Burundi

Centenaire de l'Eglise catholique


by Un Dossier ANB-BIA, Bruxelles, mars 1998

THEME = DOSSIER

Partie 1/3: I. Histoire politique - Partie 2/3: II. L'histoire de l'Eglise

 

III. L'Eglise dans la tourmente

L'époque Bagaza

L'Eglise, dans un pays majoritairement catholique, était certainement une force, tant matérielle que spirituelle, ayant un grand impact sur la population. Est-ce la raison pour laquelle le président Bagaza s'est tourné contre elle, ne pouvant supporter deux pouvoirs dans un pays?

Dans cette "persécution" latente, ce qui a frappé surtout le monde extérieur, c'est le départ forcé de la presque totalité des missionnaires et religieux étrangers. Déjà sous Micombero, après les événements de 1972, plusieurs missionnaires avaient été expulsés. Bagaza en fit un système. Après l'expulsion d'un premier groupe en 1979, surtout du diocèse de Bururi, il s'attaqua systématiquement à tous les diocèses. Les missionnaires n'étaient plus "expulsés", ils ne recevaient plus de visa et se voyaient par conséquent forcés de quitter le pays, un par un. Au moment de la chute de Bagaza en 1987, il ne restait plus qu'une dizaine de missionnaires étrangers sur place. En huit ans, près de 450 d'entre eux avaient dû quitter le Burundi.

Cette saignée fut évidemment terrible pour l'Eglise. Cependant, les prêtres et les religieuses burundais firent face à la situation de manière admirable. Les autres mesures de Bagaza firent d'autant plus de mal et furent encore plus néfastes.

On peut noter: en 1979, l'hebdomadaire catholique Ndongozi fut supprimé; les communautés de base ne pouvaient plus se réunir que le dimanche et seulement dans les paroisses (alors qu'elles étaient précisément répandues à travers toutes les petites localités). En 1984, toute activité religieuse se voyait interdite les jours ouvrables. Les années suivantes les restrictions et interdictions se multiplièrent: expropriation des écoles confessionnelles, des groupes d'action catholique et des mouvements de jeunesse; fermeture des centres d'alphabétisation catholiques; suppression des séminaires (devenant des collèges) et fermeture des écoles de catéchistes; suppression des conseils paroissiaux; abolition de la fonction de catéchiste; suppression des leçons de religion dans les écoles; abolition totale des communautés de base et, finalement, en 1987, la fermeture d'un grand nombre d'églises, dont la cathédrale de Gitega.

Après la chute de Bagaza, pratiquement toutes ces mesures ont été levées et l'Eglise a retrouvé toute sa liberté. Mais malgré cela, un mal immense avait été fait et ces années ont laissé des traces, surtout peut-être chez les jeunes, qui ont connu un grand désarroi idéologique, qui ne s'efface pas aisément. Cependant, il y a eu aussi des côtés positifs. Plus que jamais, l'Eglise locale a dû prendre ses responsabilités et ne compter que sur ses propres forces. Un certain nombre de missionnaires sont revenus, mais dans un autre cadre. Jamais les séminaires n'ont été aussi remplis. L'Eglise du Burundi est devenue pleinement burundaise.

Les traumatismes d'aujourd'hui

Le Burundi est plongé dans une guerre civile, sur fond de tensions ethniques exacerbées. Chaque groupe a ses extrémistes.

L'Eglise, la communauté chrétienne, vit ces événements dans sa propre chair. Environ 65% de la population est catholique. Ce sont des chrétiens qui se combattent, qui s'entretuent. Ce sont des chrétiens, la majorité de la population, qui subissent toutes les conséquences de cette guerre, les privations, les persécutions, la famine ou la disette. Ce sont des chrétiens, dans les deux groupes, qui ont peur les uns des autres. Ce sont aussi des chrétiens qui, malgré tout, s'entraident et qui cherchent des voies pour retrouver la paix et la réconciliation.

Déjà en 1972, la presque totalité des victimes du carnage étaient des chrétiens. Parmi eux, selon l'assemblée épiscopale, 18 prêtres, 6 frères et 2 religieuses furent exécutés.

L'historien J.P. Chrétien écrivit: "La crise de 1972 a frappé de plein fouet l'Eglise [...] en révélant la fragilité des valeurs chrétiennes face à ce déchaînement de violences". Mgr. Makarakiza lui-même reconnaissait: "Le déferlement de cette haine sur les collines nous a fait perdre nos illusions sur la profondeur de l'esprit chrétien malgré la pratique religieuse". Et les supérieurs majeurs constataient: "La pastorale devra être complètement repensée en fonction des événements".

Toutefois, l'Eglise, la hiérarchie en particulier, n'a pas ménagé ses efforts, au cours des années, pour amener le pays à une réconciliation en profondeur et à trouver des voies pour une démocratie viable pour tous.

D'abord dans la période de préparation aux élections générales de 1993. On peut noter la lettre pastorale remarquable de Mgr. Ntamwana, alors évêque de Bujumbura, en 1990, intitulée "Laisse partir mon peuple", que le Pr. Ntibazonkiza qualifia de "référence démocratique". L'Eglise participa aussi activement aux différentes commissions nationales. Deux évêques (Kaburungu et Ngoyagoye) firent partie de la commission préparatoire à la Charte de l'unité; deux autres (Bududira et Ntamwana) à la commission des affaires économiques et sociales; trois prêtres (dont Mgr. Nterere) à la commission préparatoire de la Constitution.

Après l'élection du président Ndadaye et du Parlement, les évêques, dans une lettre officielle, félicitèrent le nouvel élu et exhortèrent les vainqueurs à la modération, invitant les autres à ne pas se cantonner dans une opposition stérile, mais à collaborer au bien du pays. On connaît la suite...

Il est difficile de connaître le nombre exact des victimes de ces années de guerre civile: 150.000? 200.000? Il y a eu également des morts parmi le clergé. Le plus connu est évidemment Mgr. Joachim Ruhuna, l'archevêque de Gitega, assassiné le 9 septembre 1996. D'autres évêques, dont Mgr. Nterere, ont échappé à plusieurs reprises à des attentats.

Les divisions parmi les Burundais se répercutent nécessairement parmi les prêtres et les religieux, au moins chez une partie d'entre eux. Cependant, bien que chaque individu soit de par sa nature lié à un clan, la majorité du clergé essaie de toutes ses forces à maintenir l'unité, à prêcher la réconciliation et surtout à porter de l'aide à tous ceux qui en ont besoin. La conférence épiscopale a montré une entente et une solidarité exceptionnelles.

Le 29 août 1997, la conférence épiscopale a envoyé un "Message des évêques catholiques aux hommes politiques", où ils disaient notamment: "Dans la conjoncture actuelle où se trouve notre pays depuis des années, nous réaffirmons que seul le dialogue politique ou la négociation sincère est la voie incontournable vers la paix et la réconciliation... Personne n'ignore que les politiques mises en oeuvre jusqu'aujourd'hui ont conduit au mépris de la vie, aboutissant aux massacres collectifs et répétitifs au cours de notre histoire. Aujourd'hui, ce mépris de la vie se traduit dans une guerre ethnique généralisée, où la vengeance s'opère à froid sans que les hommes politiques s'en sentent responsables. Il est urgent que les hommes politiques quittent leurs ghettos et dépassent leurs intérêts partisans et égoïstes... Nous nourrissons le ferme espoir que les responsables et tous les hommes politiques mettront tout en oeuvre pour que la paix revienne...".

Mais c'est surtout en s'adressant à leurs chrétiens, qu'en de multiples occasions les évêques, ensemble ou personnellement, ont appelé à la paix et à la réconciliation, n'hésitant pas à fustiger les dérives. Nous citons quelques-uns de leurs textes, par de courts extraits.

Dans un message à l'occasion de la Noël 1996 et du nouvel an 1997, à la fin de l'assemblée de la conférence épiscopale, les évêques écrivaient: "Dieu notre Père, sauve le Burundi de la guerre et de la haine... La guerre est mauvaise!... Tuer un être humain est un péché très grave... Nous devons refuser la guerre et tout ce qui la soutient. Nous devons être au premier rang de ceux qui défendent la paix... On dit souvent que la guerre est une guerre ethnique. Que les Bahutu veulent libérer leurs congénères opprimés, et que les Batutsi veulent protéger les leurs qui sont menacés. En réalité, tous ceux qui mènent la guerre ne veulent que le pouvoir politique... La guerre du Burundi est un suicide collectif. Nous sommes à ce point habitués aux massacres que, quand il y a des morts, personne n'ose plus l'annoncer... Actuellement, même ceux qui ne veulent pas la guerre y sont entraînés de force. Qui refuse d'obéir est tué. C'est pour cette raison que nous devons nous lever... Le dialogue est encore possible entre Burundais. Nous devons tous chercher la victoire de la vérité et du droit. C'est par ce moyen que nous pourrons garantir à tous le respect et permettre de recréer des liens et l'estime mutuelle... Que le Seigneur de la miséricorde et du pardon sauve notre pays et tout notre peuple de la violence et de la guerre."

Un an plus tard, le ton est devenu quelque peu plus dur, peut- être un peu plus amer aussi. Dans ses voeux de Noël 1997 à ses amis et bienfaiteurs, l'archevêque Mgr. Ntamwana écrit: "Le Burundi est entré dans sa quatrième année de violences meurtrières. Les gens vivent dans la terreur. D'autres subissent des exactions de la part de qui prétend les administrer... Tout cela ne fait que creuser davantage le fossé de la haine. Et la haine tue!... Les Burundais continuent la guerre. Les Burundais pensent ainsi trouver la solution à leur lutte pour le pouvoir, unique source de richesse facile. Nous ne voulons apprendre ni de nos ancêtres qui prônaient le dialogue, ni de l'histoire des conflits qui ne finissent qu'autour d'une table, ni de l'Evangile dont 80% des Burundais ont entendu parler et auquel ils disent croire!... Entre- temps le peuple meurt de faim, de maladie, de pauvreté, car l'économie du pays est à plat ventre, déjà que le peu qui restait dans les caisses publiques est intelligemment pillé... Un petit tableau de la vigne dévastée, dont le prophète Jérémie parle avec les larmes aux yeux. Mais elle refleurira, car Dieu est devenu Emmanuel, Dieu-avec- nous...".

Et Mgr. Bududira, évêque de Bururi, dans ses voeux de Noël à ses fidèles disait: "Dieu a créé l'homme à son image... Mais ceux qui tuent les autres, ceux qui détruisent, ceux qui pillent, ont-ils, à votre avis, du coeur et de l'intelligence? Ils font honte à l'espèce humaine... Vous, comportez-vous comme ceux qui ont reçu le "pouvoir de devenir enfants de Dieu". Montrez-le aux autres par la bonté et la tendresse avec laquelle vous accueillez ceux qui reviennent de leur fuite... Unissez-vous et conjuguez vos efforts pour déraciner les enseignements de la haine. Mettez-vous ensemble pour refuser les rumeurs et les calomnies. Coalisez-vous pour défendre les faibles. Unissez- vous pour entraîner les autres à pratiquer la compassion et le pardon...".

Le 17 février 1998, les évêques du Rwanda et du Burundi, réunis dans le cadre de leur Association des conférences épiscopales des deux pays, adressèrent un message à leurs fidèles. On y lit e.a.: "Nos deux Eglises sont, à travers les nombreuses épreuves, en marche vers la célébration du grand jubilé de l'an 2000. Au moment où l'Eglise du Burundi célèbre le jubilé de 100 ans d'évangélisation et que l'Eglise du Rwanda se prépare à célébrer ce même événement dans deux ans, nous appelons à la responsabilité des chrétiens pour la restauration de la paix dans nos deux pays ensanglantés par les massacres massifs de populations et le génocide entre ethnies. Nous voulons à nouveau lancer un appel à nos communautés chrétiennes et les encourager à pratiquer la justice, le pardon et la réconciliation... à lutter contre l'ethnocentrisme, ce virus de la division qui mine nos pays depuis si longtemps. Nous leur demandons de s'engager dans la dynamique de l'amour et de la solidarité, et de préparer toutes les voies possibles à l'acceptation mutuelle et à la réconciliation progressive... Puisse l'Esprit nous conduire tous dans la voie de la conversion, du pardon, de la réconciliation et de la paix".

DIOCESES ET EVEQUES DU BURUNDI

Archidiocèse de GITEGA: Simon Ntamwana
Diocèse de         BUBANZA: Jean Ntagwarara
                           BUJUMBURA: Evariste Ngoyagoye
                           BURURI: Bernard Bududira
                           MUYINGA: Jean Berchmans Nterere
                           NGOZI: Stanislas Kaburungu
                           RUYIGI: Joseph Nduhirubusa

FIN

Partie 1/3: I. Histoire politique - Partie 2/3: II. L'histoire de l'Eglise

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