Un Dossier ANB-BIA, Bruxelles, mars 1998
THEME = ANALYSE
Une version abrégée de cette analyse est parue
dans la revue "RELATIONS" du mois de mai 1998.
"RELATIONS" est publiée à Montréal
(25, rue Jarry ouest, Montréal H2P 1S6 - Canada)
par le Centre justice et foi, sous la responsabilité de membres de la Compagnie de Jésus
et d'une équipe de chrétiens et de chrétiennes e
ngagés dans la promotion de la justice.
Beaucoup de pays africains sont entrés dans l'ère post-coloniale avec une forme de démocratie, dont la caractéristique principale était l'existence d'une opposition organisée tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de la législature. Reflétant cette réalité, beaucoup de pays avaient une opposition active, ou du moins une presse indépendante, qui pouvait idéalement maintenir les gouvernements sur leurs gardes. De même, le pouvoir judiciaire en place, se considérant indépendant de l'exécutif, pouvait assumer son rôle de garant des droits fondamentaux du peuple.
Cette situation n'a pas perduré. Dès le début des années 1970, le continent était dirigé par des gouvernements militaires ou à parti unique. Et cette tendance s'est accentuée au cours des deux décennies suivantes. Pendant trente ans, les dirigeants africains ont perpétué les grands mythes, en arguant que le chef suprême, le parti unique et la répression de toute opposition politique et de la liberté d'expression étaient des conditions sine qua non pour garantir l'unité nationale, pour surmonter le tribalisme et pour canaliser tous les efforts des masses vers l'économie de développement. Toute dissidence, voire la moindre critique, étaient un luxe qu'un Etat africain ne pouvait se permettre.
Vers la fin des années '80 et au début des années '90, des voix se sont fait entendre ça et là, appelant à des changements politiques et constitutionnels; à tel point qu'un souffle puissant a secoué tout le continent africain, faisant retentir des slogans de démocratie et de liberté. Jamais depuis la fin de l'empire, l'Afrique n'avait connu pareil bouleversement.
Dès 1990, l'idéalisme, qui avait animé le mouvement d'indépendance trente ans auparavant, était de retour. La situation évolua rapidement dans tous les pays. Partout, on parlait de démocratie pluraliste, ou de démocratie tout court. Le processus du changement était en route, mais chaque pays avait sa façon de faire et sa vitesse de croisière. Dans certains pays, il était à peine perceptible.
Les bouleversements politiques ont été amorcés en Afrique dans le courant des années '80. Que s'est-il passé?
La jeune génération d'Africains n'était plus acquise à ce système de pensée.
En Afrique francophone, la plupart des dirigeants ont répondu à l'appel en réunissant une "Conférence nationale". Ce rassemblement des forces vives de la nation était devenu le point de convergence du renouveau politique. Certains y ont vu la prévalence de la tradition révolutionnaire française, où les Etats généraux (les trois pouvoirs administrant le pays) se sont approprié le pouvoir pour amorcer le renversement de l'ancien régime.
Les Conférences nationales ont cherché à s'approprier les pleins pouvoirs souverains et ont provoqué la chute de l'autorité gouvernementale autocratique. Ce fut la destitution du président Kérékou au Bénin (qui a qualifié l'issue de la souveraineté de "coup d'Etat civil") et du président Sassou Nguesso au Congo-Brazzaville, qui, après que la carte de la "souveraineté" ait été jouée, a dû se soumettre pendant plus de trois mois à une sévère critique de ses douze ans de pouvoir et a fait l'objet de sérieuses accusations, dont celle d'avoir été impliqué dans l'assassinat de son prédécesseur, le président Ngouabi en 1997.
Ailleurs, principalement en Afrique anglophone, certains chefs d'Etat, sans passer par le processus d'une conférence nationale, ont accepté de se soumettre aux élections et de passer le pouvoir à un successeur démocratiquement élu. Ce fut le cas de la Zambie, où Kenneth Kaunda a été remplacé - après 27 années à la présidence - par Frederick Chissano, élu lors d'élections totalement démocratiques. Le Nigeria a innové en la matière. Le gouvernement militaire d'Ibrahim Babangida a créé deux partis, en a rédigé les statuts et les a financés dans l'espoir que la démocratie serait canalisée au Nigeria par ces deux mouvements modérés. En Tanzanie, après de longues années de pouvoir modéré à parti unique, Mwinyi a créé une commission pour voir si un changement s'imposait!
D'autres chefs d'Etat, tels que Museveni en Ouganda et Rawlings au Ghana, ont recherché des alternatives au système des partis, avec une formule africaine de démocratie sans partis, basée sur des élections localisées.
"Le vent du changement" risquait d'emporter même les plus modérés des vieux despotes. Partout, une nouvelle vague de présidents et de premiers ministres technocrates prenait la relève, en particulier en Afrique lusophone et francophone. Souvent, ce n'étaient pas des politiciens professionnels, mais des banquiers (Allasane Ouattara en Côte d'Ivoire), des professeurs d'université (Amos Sawyer au Libéria), des avocats (Carlos Viega au Cap Vert) ou des diplomates (Edouard Franck en République centrafricaine). Ils avaient une vocation et des capacités spécifiques pour contribuer au processus de réconciliation nationale.
L'Afrique du Sud a été un cas particulier où on a vu le président de Klerk s'engager dans un processus qui a mis fin au pouvoir constitutionnel uniracial.
D'autres pays, comme le Libéria et la Somalie, ont tout simplement explosé. Leurs dirigeants se sont accrochés au pouvoir et ce fut le désastre total. Le Zaïre semblait aller dans la même direction, et le Soudan reste sinistré avec une guerre civile qui fait toujours rage dans le sud du pays.
D'autres pays ont claironné: "Démocratie interdite". Au Malawi, Hastings Banda déclarait: "Les gens ne demandent pas de changer l'actuel système politique". Au Kenya, Daniel arap Moi prédit le désastre et la désintégration si la démocratie s'installe: il y a plus de quarante tribus au Kenya, souligne Moi, et si elles avaient toutes accès aux élections, ce serait inévitablement la pagaille et la violence.
En Afrique du Nord, le vent du changement a été moins perceptible. La décision de l'Algérie d'organiser des élections nationales libres, en 1991, fut une première en Afrique du Nord et on s'apprêtait déjà à la citer comme modèle à suivre pour ses voisins. Mais le président Chadli démissionna dès avant le second tour, interrompant ainsi le processus électoral, et le pays plongea dans l'agitation politique. Le Conseil suprême de l'Etat déclara ensuite qu'il n'y aurait plus d'élections avant 1994.
FIN PARTIE 1/6
2. La démocratie: mythe ou réalité?
| 3. L'Afrique et la communauté mondiale
4. Les manifestations de la démocratie: une presse et un
système judiciaire indépendants
5. Les réalités de la globalisation | 6.
Où se trouve l'Afrique à l'approche du nouveau millénaire?
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